Le paysage nous en dit long…Largillay (mai 2014)

Le paysage nous en dit long... (mai 2014).jpeg
Hétérogénéité des sols et conduite extensive des prairies caractérisent cette partie du second plateau du Massif du Jura. (photos ©CIGC/Petit)
Hétérogénéité des sols et conduite extensive des prairies caractérisent cette partie du second plateau du Massif du Jura. (photos ©CIGC/Petit)
Pascal Bérion (photo ©CIGC/Petit)
Pascal Bérion (photo ©CIGC/Petit)
Après le Val de Morteau en février 2014, Pascal Bérion, maître de conférences en aménagement de l’espace et urbanisme à l’Université de Franche-Comté, nous invite à poursuivre notre lecture de paysage de la zone Comté en nous intéressant cette fois-ci à la région des Lacs du Jura, et plus particulièrement au terroir de la fruitière de Largillay.

La fruitière de Largillay transforme en Comté quatre millions de litres de lait par an, issus d’une quinzaine d’exploitations agricoles disséminées dans les villages alentours. L’aire géographique de la fruitière correspond à la partie méridionale de la petite région agricole dite de la “Combe d’Ain”. Elle s’inscrit sur le second plateau du Massif du Jura et s’étage entre 450 et 650 mètres d’altitude. Le terroir de la fruitière de Largillay est drainé par la rivière l’Ain. Auparavant cette dernière formait en ces lieux une vallée étroite et profonde qui a aujourd’hui laissé la place à un important plan d’eau artificiel lié au barrage de retenue hydroélectrique de Vouglans mis en service en 1968.

Les sociétaires de la fruitière de Largillay sont implantés sur les deux rives du lac de Vouglans. Le finage* se développe sur les étroits plateaux qui dominent la vallée. Il s’organise de façon méridienne en suivant l’axe de la rivière et de son lac. À l’ouest, il est limité par l’étroit et vigoureux plissement du faisceau d’Orgelet. À l’Est, il rencontre les pentes des plissements précurseurs du Haut-Jura, à savoir ceux du faisceau dit Interne.
Les sols de ce secteur sont développés sur des calcaires durs et des marnes dont une partie est recouverte par d’importants dépôts d’origine glaciaire qui ont comblé le fond du vaste lac de la Combe d’Ain situé à l’exutoire des glaciers qui s’étendaient sur le plateau de Champagnole (Vincent BICHET et Michel CAMPY, Montagnes du Jura. Géologue et paysages. Néo éditions, 2008, 303 pages).

Il en résulte une certaine hétérogénéité avec des parcelles à tendance hydromorphe alors que d’autres présentent un profil plus séchant. Le bassin laitier de la fruitière est composé d’un ensemble de petits villages comptant entre 100 et 200 habitants, dont la forme est typique des ensembles d’openfield. L’habitat est généralement groupé et étiré autour des axes principaux de circulation. L’habitat villageois ancien est constitué de fermes mitoyennes en bord de rue et à l’arrière desquelles se localisent des jardins et des vergers. Cependant, cette disposition initiale laisse entrevoir plusieurs évolutions. Tout d’abord, et depuis longtemps, quelques fermes se sont dispersées sur le territoire et s’organisent parfois en véritable hameau. A présent les bâtiments agricoles se construisent soit aux abords des villages, soit au sein du finage là où les exploitations disposent de leurs principaux blocs parcellaires. Enfin, des lotissements se sont ajoutés au bâti des villages et forment des îlots compacts occupés par des maisons individuelles récentes.

La présence de l’élevage bovin laitier est perceptible dans le paysage. Elle se lit autour de deux attributs. Les prairies, fauchées ou pâturées dans lesquelles s’observent selon les saisons, vaches, génisses et matériels de fenaison. Les bâtiments d’exploitation sont composés de stabulations modernes associées à de volumineux hangars de stockage des foins et regains. Ici le mode dominant de récolte est le système dit de “vrac” avec l’utilisation d’une remorque autochargeuse associée à un séchage en grange des récoltes. Dans les villages, les fermes traditionnelles aux belles façades en pierres calcaires beiges et aux portes de granges en arc avec une voûte en pierre de taille accueillent de moins en moins les vaches laitières. Les étables servent au mieux au logement hivernal des génisses et les granges deviennent des remises pour le matériel agricole.

Le terroir de la fruitière de Largillay permet de cultiver, en raison de son altitude moyenne et de la qualité de ses sols, des céréales destinées à l’alimentation des animaux. Ces cultures présentent de nombreux avantages : elles améliorent l’autonomie alimentaire des exploitations, fournissent de la paille indispensable pour les litières (et par là même pour les fumiers compostés qui en sont issus) et s’inscrivent dans une rotation par lesquelles elles sont remplacées par des prairies temporaires complexes composées de légumineuses et de graminées qui restent en place au moins une dizaine d’années.

Pour conclure, le paysage de la fruitière de Largillay s’inscrit dans un cadre de plateau ouvert, sur lequel l’agriculture constitue l’activité économique dominante et fondamentale. La pression foncière est principalement animée par les besoins des exploitations agricoles. Ces dernières disposent d’un foncier qui leur assure une bonne autonomie fourragère. Ainsi, elles adoptent une conduite à tendance extensive par laquelle elles cherchent à maîtriser au mieux leur autonomie fourragère. Ce type de pratique participe certainement à l’expression de la typicité de ce terroir dont les Comté ont été à plusieurs reprises récompensés par des médailles au concours général agricole de Paris.

*Finage : ensemble des terres nécessaires à la vie d’une communauté rurale.

Actualité suivante

Bernard Petetin, un homme de conviction