Dossier : quand l’herbe pousse les hommes au champ ! (printemps 2018)

Les associés des deux GAEC Bole-Senot et La Mouttote ont tout gagné à se mettre d’accord.
Les associés des deux GAEC Bole-Senot et La Mouttote ont tout gagné à se mettre d’accord.
La journée technique du Groupe Herbe de Franche-Comté a permis de mettre le pâturage au centre des préoccupations. L’occasion de s’approprier doucement les évolutions du cahier des charges Comté.

Les dix techniciens du groupe Herbe Franche-Comté* organisent chaque année une journée technique réunissant tous les agriculteurs qui le souhaitent autour d’une thématique « Herbe ». Cette année, dans le contexte d’évolution du cahier des charges de l’AOP Comté, la journée du 13 avril s’est orientée autour du pâturage, présentant divers moyens de le mener à bien : aménagements piétonniers et points d’abreuvement, échanges de parcellaires pour augmenter la surface autour de l’exploitation, outils de conduite de pâturage (herbomètre, module Pâturage dans Synest), etc. À travers trois ateliers pratiques, les participants ont pu s’imprégner des futures exigences du cahier des charges de l’AOP Comté (50 ares de pâturage par vache à proximité du point de traite) et (re)découvrir les moyens d’y parvenir. Ce fut aussi l’occasion de rappeler que l’affouragement en vert est plus coûteux que le pâturage, et qu’un système de production ne doit pas être saturé pour rester viable…
Ce dossier « Herbe et pâturage » présente quelques-uns des points cruciaux à ne pas négliger pour un pâturage réussi, n’oubliant pas que chaque cas est différent. Comme le suggère Patrick Mercier, producteur fermier, président de l’AOP Camembert et invité d’honneur de cette journée : « Le paysan connaît sa terre et trouvera simplement sa façon de gérer l’herbe. C’est avant tout beaucoup de bon sens… »

*Le Groupe Herbe est composé de Honorine Adam (Haute-Saône Conseil Elevage), Florian Anselme (Eva Jura), Sylvie Bombrun (CA 39), Jean-Marie Curtil (CIA 25-90), Nicolas Gaudillière (Conseil Elevage 25-90), Mickael Grevillot (CA 70), Margaux Reboul Salze (CA 70), Alban Mondière (Interbio), Didier Deleau (Arvalis) et Pascal Mercier (Conseil Elevage 25-90).

ÉCHANGES FONCIERS : L’échange de terrain, un bon compromis pour pâturer plus et mieux

Les associés des deux GAEC Bole-Senot et La Mouttote ont tout gagné à se mettre d’accord.
Les associés des deux GAEC Bole-Senot et La Mouttote ont tout gagné à se mettre d’accord.
Pour que chacun dispose d’un parcellaire plus regroupé, des échanges de terrain entre plusieurs exploitations sont possibles. La Chambre d’Agriculture peut accompagner techniquement ce tour de table.

J’ai un bout d’herbe ici, toi un autre là… La discussion entre cinq exploitations des alentours de Paroy a abouti rapidement à un accord. En 1h30, un matin, le principe de base était accepté par tous, restait ensuite à le peaufiner ! Au final, après échanges, citons deux exemples : le Gaec Bole-Senot détient 57 ares de surface accessible au printemps (contre 40 ares avant) et le Gaec de la Moutotte 62 ares (contre 34 ares avant). Cette nouvelle confi guration n’a que des avantages : les deux exploitations peuvent faire pâturer davantage leurs vaches et ont considérablement réduit l’affouragement en vert tant en durée qu’en quantité. C’est un confort de travail plus grand, mais aussi un gain économique non négligeable : l’herbe pâturée coûte 4 à 6 fois moins cher que l’herbe affouragée (lire aussi ci-dessous notre article sur l’affouragement). Par ailleurs, le Gaec de la Moutotte n’a plus à pratiquer la traite au champ sur un site peu fonctionnel durant deux mois d’été… et a pu s’engager dans une démarche de conversion en bio.
Ces échanges de parcelles peuvent être accompagnés techniquement par la Chambre d’Agriculture du Doubs / Territoire de Belfort, qui aide entre 5 et 8 projets par an. « Nous intervenons sur la cartographie, de manière à classer les parcelles en fonction de critères cohérents afin d’aboutir à des échanges équivalents en termes de surface », explique un représentant de la Chambre d’Agriculture.

AMÉNAGEMENTS EN FAVEUR DU PÂTURAGE : tous les chemins mènent à l’herbe

Le boviduc de Paroy sous la RN 83 permet le passage de deux troupeaux.
Le boviduc de Paroy sous la RN 83 permet le passage de deux troupeaux.
À Paroy, un boviduc sous la RN 83 permet aux troupeaux de deux exploitations d’aller pâturer sans stress. Aménager son parcours, c’est aussi créer des chemins adaptés et des points d’abreuvement.

Les réflexions autour du boviduc ont commencé avant le passage du franc à l’euro. Mais cette fois, c’est fait ! Les troupeaux des GAEC Bole-Senot et La Moutotte traversent enfin la Nationale vers Paroy non plus sur, mais sous la route !
Financé par les collectivités et les exploitants à hauteur de 25 %, ce tunnel sous la RN 83 devenait indispensable : 12 000 véhicules dont 1 500 poids-lourds empruntent cet axe chaque jour. On imagine la difficulté et la dangerosité d’y faire traverser près de 100 vaches ! « C’était une vraie galère. On mobilisait trois personnes sur 500 m avant de traverser. Aujourd’hui, une personne suffit », témoignent les producteurs. Résultat : un temps de travail écourté, moins de stress pour les vaches, une meilleure valorisation de l’herbe et zéro risque d’accident routier. En parallèle, le terrassement du boviduc a servi à créer des chemins d’accès recouverts d’une fine couche de gravillons et un réseau d’abreuvement avec des bacs à eaux de 800 à 1 400 litres. De quoi valoriser pleinement le pâturage tournant simplifié !

Chemins aménagés et points d’eau

Aménager des chemins fait en effet partie des incontournables du pâturage : les animaux circulent mieux donc plus vite et sans boiteries, les mamelles sont moins salies pendant le trajet et l’accès aux parcelles est plus facile pour les animaux. « Il faut étudier un tracé desservant un maximum de parcelles et créer une partie plus large au début du chemin. Inutile de prévoir plus de 5 m de large : c’est suffisant pour un tracteur et bien au-delà pour les vaches qui marchent en file indienne », conseille une technicienne.
Côté abreuvement, les points d’eau doivent être en nombre suffisant (deux bacs côte à côte ou un à chaque extrémité de parcelle) et mieux vaut éviter que les vaches boivent en rivière pour des raisons environnementales, sanitaires et de productivité en lait (+ 1 à 9 % en point d’abreuvement plutôt qu’en rivière). Plusieurs aménagements existent : systèmes de pompage éoliens ou solaires, bacs ou citernes.

OUTILS DE CONDUITE DU PÂTURAGE : toute la grandeur du pâturage dans quelques centimètres d’herbe !

Honorine Adam de Conseil Élevage 70 présente l’herbomètre
Honorine Adam de Conseil Élevage 70 présente l’herbomètre
Pour mesurer la croissance de l’herbe, l’herbomètre est un outil pratique, surtout lorsqu’il est couplé au « Module pâturage » du logiciel Synest.

L’herbomètre, très courant en Nouvelle-Zélande, permet de mesurer la hauteur d’herbe dans chaque parcelle, mais surtout d’établir des prévisions. « Je l’utilise depuis deux ans. Il simplifie ma gestion du pâturage et permet de faucher moins de refus. L’an dernier, je l’ai sorti 5-6 fois au printemps en prenant mes mesures en zig-zag. Cette année, je le sors chaque semaine, mais je prends un point fixe pour gagner du temps : je fais le tour des parcelles en une petite heure », explique Anthony Sage du Gaec de la Mouttote à Paroy.
En complément de cet outil, Anthony utilise le nouveau « Module pâturage » intégré au logiciel Synest sur lequel il entre ses hauteurs d’herbe sur chaque parcelle, son nombre de vaches et les aliments complémentaires donnés. « Le logiciel calcule les jours d’herbe dont je dispose avec des prévisions à 15 jours / 3 semaines. Cela me permet de définir le sens de rotation du pâturage, la complémentation à donner et de décider le débrayage en fauche de telle ou telle parcelle. » La hauteur d’herbe idéale pour pâturer ? « Nous, on aime qu’elle mesure entre 10 et 13 cm car nos parcelles sont petites avec beaucoup de chargement. En dessous, les vaches n’auraient pas assez à manger. Chaque centimètre se connaît : 1 cm en moins, c’est 220 kg de matière sèche perdus à l’hectare. »
Les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à s’équiper : 20 herbomètres ont été loués ou achetés l’an dernier auprès de Conseil Élevage 25-90 (450 € à l’achat + frais de port). Pour sa première année de lancement, le « Module pâturage » du logiciel Synest compte 32 abonnés. Ce module, que les agriculteurs peuvent tester gratuitement en 2018 (20 € / an à partir de 2019), sera bientôt accessible sur application mobile pour saisir les données directement sur smartphone.

ÉCONOMIE : le drôle de coût de l’affouragement en vert

Florian Anselme présente l’étude de son collègue Pierre-Emmanuel Belot, lors d’un atelier Herbe le 13 avril à Chay.
Florian Anselme présente l’étude de son collègue Pierre-Emmanuel Belot, lors d’un atelier Herbe le 13 avril à Chay.
A l’heure de la révision des cahiers des charges de 3 fromages AOP de Franche-Comté, les débats sur la pratique de l’affouragement en vert vont bon train.

Historiquement, l’affouragement en vert a toujours existé sur certains secteurs de la zone d’appellation du Comté très sensibles aux sécheresses d’été et sur lesquelles il est très difficile de nourrir les vaches exclusivement avec de la pâture du 15 juillet au 15 septembre. Depuis quelques années, la pratique de l’affouragement s’est étendue à presque toute la zone d’appellation. En dehors du fait que cette pratique ne correspond pas à l’image que souhaite véhiculer le Comté, elle a des conséquences économiques importantes sur les exploitations du fait de son coût de mise en oeuvre.

Quelle incidence sur le résultat économique de l’exploitation ?
Une simulation a été réalisée sur une exploitation modélisée dans le cadre du dispositif Inosys Réseau d’Elevage. Pour faire cette simulation, l’Institut de l’élevage s’est placé dans le cas d’une pratique de l’affouragement qualifiée « de complaisance ». C’est-à-dire que l’exploitation a la surface disponible pour faire pâturer les animaux, mais qu’elle fait le choix d’affourager plutôt que de pâturer. Le résultat est sans appel : la perte économique varie de 2 000 à 6 000 € par an selon les hypothèses retenues (niveau de fertilisation des prairies destinées à l’affouragement, modulation ou pas de l’apport de concentrés, ventes de foins issues des surfaces libérées…)

Pourquoi la pratique de l’affouragement ne donne pas de bons résultats économiques ?
C’est le coût du matériel ramené à sa durée effective d’utilisation qui pénalise fortement le bilan économique. Le coût de fonctionnement d’une faucheuse-auto-chargeuse est estimé à 7 500 € par an, traction comprise. Lorsque l’on ramène ce coût à la tonne de matière sèche d’herbe affouragée, on arrive à 144 € soit 6 fois plus que le coût de l’herbe pâturée et 1,5 fois plus que celui du foin !
L’affouragement est donc justifié uniquement lorsqu’il est utilisé en solution de dépannage sur une durée courte et de façon non systématique.

Pourquoi le 1er juin ?- Dans son futur cahier des charges, le CIGC a prévu d’autoriser le recours à l’affouragement en vert à compter du 1er juin de chaque année (pour une période de 75 jours maximum). Cette date correspond au moment où la pousse de l’herbe commence à décroître quel que soit le secteur géographique. Les travaux techniques du Groupe Herbe, qui mesure depuis près de 10 ans la pousse de l’herbe sur 20 exploitations de la zone AOP Comté dans le cadre de sa « Météo de l’herbe », en attestent. Avec 50 ares de pâturage par vache, il n’y a pas de raison d’affourager en vert avant le 1er juin.

C’était comment cette journée herbe ?

Dominique, Julien Legain et leur apprenti, du Gaec des Sapins à Villars Saint-Georges : « Nous avons obtenu l’autorisation de passer notre exploitation, jusqu’alors en lait standard, en lait à Comté au mois de mai 2017. Jusqu’ici, chez nous, le pâturage était secondaire. Nous avons envie de bien faire, d’où notre présence aujourd’hui ! Nous allons mettre en place trois systèmes de pâturage avec une partie jour, une partie nuit et une partie nuit et jour pour nos 55 vaches sur 40 hectares. Toutes les choses évoquées aujourd’hui ne nous sont pas étrangères, mais cela permet de se remémorer certains grands principes. Nous allons tenter d’accéder à l’autonomie fourragère et éviter au maximum les investissements inutiles… »

Didier Bailly, d’Abbans-Dessus : « Mon exploitation est basée sur un système extensif qui arrive à saturation. Je suis venu ici pour comprendre le fonctionnement des systèmes avoisinants et voir si je pouvais d’une manière ou d’une autre adapter certaines de ces pratiques sur ma ferme. J’aimerais me mettre au pâturage tournant… et tenter de regrouper mes parcelles, si c’est possible. Je vais essayer en tous cas, c’est la base de tout le reste ! »

Dominique, Julien Legain et leur apprenti
Dominique, Julien Legain et leur apprenti
Didier Bailly
Didier Bailly
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