Le paysage nous en dit long…Vernierfontaine (novembre 2016)

(Photo © CIGC/Petit)
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Lecture de paysage : l’abondance de haies ne nuit pas à Vernierfontaine

(Photo © CIGC/Petit)
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Par Pascal Bérion
Maître de conférences en Aménagement de l’espace et urbanisme
Université de Franche-Comté / Laboratoire ThéMA UMR CNRS 6049

La fruitière de Vernierfontaine est localisée sur les premiers plateaux du massif du Jura, dans le département du Doubs entre Ornans et Le Valdahon. Son terroir est mis en valeur par une vingtaine d’exploitations agricoles qui produisent 6,5 millions de litres de lait par an, sur une surface agricole de presque 2 200 hectares. Avec une production moyenne de 3 000 litres de lait par hectare, la productivité laitière des sociétaires de cette fruitière est sensiblement plus extensive que celle constatée ailleurs sur les plateaux du Doubs. Cette caractéristique trouve ses fondements dans l’autonomie fourragère qui est manifeste chez presque tous les éleveurs de la fruitière : d’une part beaucoup récoltent le foin en vrac et disposent d’un système de séchage en grange qui permet de disposer de foins et de regains riches en éléments nutritifs pour les animaux et d’autre part des céréales sont cultivées et réduisent les besoins d’achats en aliments concentrés (céréales et oléagineux) pour soutenir la production laitière.

Comme il est d’usage aujourd’hui, la fruitière de Vernierfontaine est installée dans des locaux récents, fonctionnels et très bien équipés pour produire du Comté et le démarrer le préaffinage dans l’attente de son départ vers les caves d’affinage dDe Rivoire- et Jacquemin. La fromagerie a quitté sa localisation historique du centre du village dans le voisinage de l’église et de la mairie et s’est installée en sortie d’agglomération pour limiter ses nuisances au voisinage. Ce faisant, elle profite d’une visibilité et d’un accès commode depuis la route nationale 57 qui relie Besançon à Pontarlier.

Le paysage de la fruitière de Vernierfontaine s’inscrit en totalité sur le plateau dit d’Ornans qui forme une vaste aire géographique limitée au sud-est par le vigoureux escarpement du faisceau salinois (du Mont Poupet à Salins-les Bains jusqu’au décrochement de Pontarlier à Nods, Vanclans), à l’est par le plateau de Vercel Pierrefontaine-les-Varans et au nord et à l’ouest par les faisceaux de Mamirolle et de Quingey. La reculée de la Loue constitue l’accident topographique majeur qui scinde le plateau d’Ornans en deux entités : le plateau d’Amancey au sud et celui d’Ornans/Valdahon au nord dont les altitudes s’étagent entre 500 et 700 mètres. La Loue s’est encaissée de plus de 300 mètres dans la masse des plateaux et forme une vallée étroite bordée par des falaises abruptes et des reculées perpendiculaires qui incisent en « arrêtes de poisson » le plateau d’Ornans.

Le terroir de la fromagerie de Vernierfontaine s’organise en trois sous-ensembles :

Le premier correspond aux communes d’Athose, Chasnans et Vernierfontaine. Les altitudes sont proches de 700 mètres. La surface du plateau est modelée par des ondulations issues soit de l’érosion karstique (doline), soit du creusement de vallons secs qui préfigurent les reculées qui s’encaissent dans le plateau à l’approche de la vallée de la Loue ;

Le deuxième, comprend Saules, et des fermes situées dans des écarts près d’Etalans et de Gonsans. Les altitudes sont comprises en 550 et 600 mètres. Le modelé de surface est plus régulier et lui aussi marqué par l’érosion karstique ;

Le troisième, se localise au-delà de la vallée de la Loue sur le plateau d’Amancey à la commune de Longeville. Les altitudes s’étagent entre 700 et 800 mètres et les espaces agricoles s’inscrivent à la fois sur le plateau et au sein du faisceau salinois.

Le trait d’identité majeur du paysage de Vernierfontaine est l’abondance et la densité des haies. Leur présence semble assez singulière au sein d’un finage qui s’organise selon les principes généraux de l’openfield. L’habitat rural est constitué de villages qui sont, soit organisés en étoile comme Vernierfontaine, soit distribués en bordure de l’axe routier qui le dessert et fait office de rue principale : Athose, Longeville et Saules. Les haies ne relèvent pas ici d’une dynamique de bocage et ne servent pas de barrière végétale pour établir des enclos pour le bétail. Elle se sont développées sur les limites des parcelles et fait significatif, l’étude d’anciennes photographies aériennes (recul d’une cinquantaine d’années) montre qu’elle se sont sérieusement étendues. Deux grands types de haies se distinguent dans ce finage :

Des haies arbustives et composées d’épineux, implantées sur les sols minces qui recouvrent les calcaires compacts et durs du niveau géologique du Kimméridgien. Sous l’effet de l’érosion karstique de nombreuses pierres sont présentes dans les champs. Les agriculteurs, au fil des générations, ont patiemment enlevé les pierres encombrantes et les ont déposées sur les limites de leurs parcelles. Ici, leur forme ne permet pas d’édifier des « murgers » mais simplement un alignement de cailloux sur lesquels finissent par pousser des buissons d’épineux. Ce type de haies s’observe sur une vaste zone géographique au pied du faisceau salinois, de Deservillers à Etray ;

Des haies stratifiées composées d’arbres de haute tige (chênes, frênes) et d’arbustes, implantées sur des sols moins empierrés et plus profonds développés sur les calcaires et les marnes du Séquanien que l’on rencontre à Saules et Etalans.

Les espaces agricoles de ce terroir ont été remembrés depuis les années 1960 (celui de Vernierfontaine fut même l’un des premiers réalisés dans le Doubs). Le parcellaire, autrefois agencé en lanières, dont l’aspect visuel sur les photographies aériennes rappelle les lamelles d’un ouvrage de marqueterie, se compose maintenant de blocs parcellaires plus compacts. Cependant, les haies héritées des anciens découpages subsistent et donnent à voir un agencement fort original dans lequel, les anciennes limites parcellaires sont lisibles et même renforcées par les haies alors que la parcelle est aujourd’hui un bloc de plusieurs hectares dédiés aux prés de fauche, à la pâture où parfois à la culture de céréales fourragères. Ces haies ne constituent pas une contrariété pour l’exploitation des parcelles. Certes elles nécessitent d’être entretenues mais elles protègent efficacement de la bise dont la vigueur lors des épisodes de beau temps assèche très vite les sols minces des plateaux.

L’habitat rural traditionnel se compose de deux types de fermes. A Vernierfontaine et dans ses environs, les fermes anciennes sont principalement du type « pastorale en pignon » avec des toits en demi-croupe et une entrée de plain-pied dans les granges hautes via un « pont de grange ». A Longeville le bâti diffère, il se compose surtout de fermes « pastorale à galerie » situées en bordure de la rue et souvent mitoyennes. Cependant, ce type de ferme n’est plus guère utilisé pour ses fins agricoles. Parfois des extensions ont été ajoutées pour moderniser une étable mais bien souvent, ces constructions sont reconverties à l’usage exclusif de l’habitat. Les exploitations agricoles finissent généralement par quitter le centre villageois pour s’installer aux abords, ou au sein du finage afin de limiter le déplacement quotidien du troupeau et faciliter son accès aux pâturages, car ne l’oublions pas, le Comté est un fromage élaboré avec du lait produit par des vaches nourries par les pâturages durant la belle saison et de foins et regains (précieusement récoltés et stockés) pendant hiver.

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