En Petite Montagne, des fermes extensives et autonomes sur un territoire singulier

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Le terroir de la Fruitière de Saint-Julien-sur-Suran se localise dans la partie méridionale du département du Jura. Elle transforme environ 8 millions de litres de lait livrés par 22 exploitations agricoles réparties sur 16 communes différentes.

Par Pascal Bérion
Maître de conférences en Aménagement de l’espace et urbanisme – Université de Franche-Comté – Laboratoire ThéMA UMR CNRS 6049

Son terroir est animé par deux attributs géographiques déterminants :

  • Un relief spécifique relevant d’une entité naturelle dénommée « Petite Montagne »
  • Une vallée dans laquelle le Suran ondule dans une topographie relativement plane.

La Petite Montagne est une entité singulière dans le massif du Jura. Elle se compose de trois faisceaux distincts et de lambeaux de plateaux. Le bassin de collecte de la fruitière de Saint-Julien relève des formations dites du Jura externe. Le relief possède de puissantes ondulations topographiques orientées Nord/Sud. Les plis anticlinaux sont très étroits et constituent des escarpements dont les sommets sont compris entre 550 et 650 mètres. Ils dominent d’environ 250 à 300 mètres des dépressions correspondant à des synclinaux. Cette entité, comme l’ensemble du massif du Jura, s’est établie sous l’effet de la compression causée par la formation des Alpes. La contrainte initiée par une intense poussée à l’Est a conduit au décollement des couches sédimentaires profondes (les marnes salifères déposées au Trias -il y a plus de 200 millions d’années-). L’ensemble a littéralement glissé en direction de l’Ouest. Ce faisant il s’est plissé, cassé, érodé, pour aboutir aux dispositions actuelles des formes du relief.

Les monts et leurs versants sont généralement constitués de calcaires durs. Ils donnent naissance à des sols pauvres et peu épais occupés par la forêt. A l’inverse, les dépressions synclinales sont fertiles et possèdent des sols plus épais, enrichis des argiles de décalcification des calcaires et complétés par des alluvions charriées par le Suran et ses émissaires ainsi que, à certains endroits, par des sédiments issus des glaciers de la fin du quaternaire. Elles sont occupées de façon dominante par des prairies naturelles, des prairies temporaires et des cultures de céréales (vouées à l’alimentation du bétail).
Le Suran prend sa source à Loisia, commune située à proximité de Saint-Julien. La rivière obéit à un tracé Nord-Sud et s’écoule paisiblement au sein d’une dépression synclinale jusqu’à sa confluence avec l’Ain à proximité de Pont-d’Ain. Son fond de vallée est étroit (1 km en général) et plat. De nombreux ruisseaux adjacents viennent conforter le cours de la rivière et eux aussi s’inscrivent dans des vallons ouverts, étroits et plats. La rivière est généralement bordée par des arbres et des buissons, très appréciés par les castors européens qui sont revenus peupler le Suran en remontant la vallée du Rhône, puis l’Ain depuis le début des années 2000.

Le mode d’occupation du sol s’organise entre forêts fermées sur les pentes et champs ouverts dans la vallée. La limite entre ces deux ensembles est nette et coïncide parfaitement avec les changements de nature des roches et du relief. Le couvert forestier est composé essentiellement de feuillus mais, au cours de la seconde moitié du 20ème siècle de nombreuses parcelles en bas de versant ou situées sur des terres superficielles ont été plantées en résineux. Une réelle fermeture du paysage s’est produite à l’échelle de la Petite Montagne. Elle ne saurait s’expliquer par les seules contraintes liées aux pentes et à la nature des sols. Le relatif éloignement de cet ensemble par rapport aux principaux centres urbains du voisinage (Oyonnax, Bourg-en-Bresse, Lons-le-Saunier) et aux grandes voies de communication a sans aucun doute favorisé un dépeuplement rapide du territoire au cours du 20ème siècle et encouragé l’abandon des terres secondaires, faute de bras pour les entretenir. Par exemple, en 1851, Pimorin comptait 693 habitants, sa population est descendue à 132 individus en 1975 pour remonter à 202 personnes en 2020. A Saint-Julien, il y avait 717 habitants en 1901 contre 440 en 2015.

Comparaison de photos aériennes entre 1962 et 2020, correspondant au nord de Saint-Julien (Val Suran) et aux villages de Louvenne et Montrevel.


Les traces de ce passé au peuplement plus dense se lisent dans l’architecture des villages. Ceux-ci présentent des traits spécifiques d’identité :

– le premier est que les toits les plus anciens sont couverts en tuiles canal, dites aussi romaines. Ils témoignent d’une influence méridionale s’exprimant aux confins du Jura et de la Franche-Comté ;

– le second est la présence de fermes mitoyennes, dites en bandes, de part et d’autre de la rue principale du village. Ces maisons sont de petites dimensions et rendent compte d’un passé consacré à la polyculture élevage sur des exploitations aux dimensions modestes.

Une autre caractéristique mérite d’être mise en avant : l’existence d’une fromagerie dans chaque village et hameau d’importance. La majorité d’entre elles s’est constituée entre les années 1830-1860. Ainsi, dans le périmètre géographique de l’actuelle fruitière de Saint-Julien, il y avait 8 fruitières en 1859, produisant au total 50 tonnes d’un fromage de type gruyère avec le lait de 887 vaches. La production fromagère a connu ensuite un développement très important puisqu’en 1881, il est dénombré 15 fruitières ayant fabriqué 98 tonnes de gruyère avec 1 319 vaches !

Aujourd’hui, la fruitière de Saint-Julien met en commun le lait de 22 fermes exploitant au total 3 360 ha de terres agricoles. Ces exploitations comptent parmi les plus extensives de la zone AOP Comté. Elles produisent environ 2 500 litres de lait par ha et affichent une dimension moyenne supérieure à 140 ha. Elles sont extrêmement autonomes pour nourrir leur troupeau puisque leur terroir permet de produire foins, pâturages et céréales, éléments indispensables pour la subsistance du bétail et l’obtention d’un lait permettant l’élaboration de fromages de qualité. La médaille d’argent, remise au Concours Général Agricole de mars 2023 pour le Comté de Saint-Julien, en est une brillante confirmation.

L’autonomie et l’extensivité du système de production agricole à l’œuvre sur le terroir de la fruitière de Saint-Julien sont des éléments à considérer avec le plus grand intérêt d’autant qu’ici, les effets du changement climatique sont déjà très perceptibles. Les sécheresses et chaleurs estivales sont prononcées et occasionnent de nouvelles contraintes pour les éleveurs. Il faut veiller à l’approvisionnement en eau dans les pâtures, compenser l’absence d’herbe en puisant dans le stock de fourrage au cœur de l’été et s’inquiéter d’une nouvelle menace, l’incendie de forêt. Nul ne peut et ne pourra oublier en Petite Montagne les tristes journées d’août 2022 durant lesquelles les feux ont consumé des centaines d’hectares sur les pentes forestières notamment à Montlainsia, entre Lains et Montrevel, villages où se localisent des producteurs de la Fruitière de Saint-Julien. Derrière ce malheureux événement, l’esprit de solidarité et la force du collectif des éleveurs se sont exprimés au grand jour. Chacun, lorsque qu’il en avait les moyens matériels et humains, a pris son tracteur et sa tonne à lisier pour transporter l’eau afin de ravitailler les pompiers et arroser les bords des routes et des villages pour limiter la progression du feu. La présence d’une activité agricole dynamique et prospère est plus qu’une ressource nourricière et économique pour un territoire, elle participe à sa capacité de résilience et d’adaptation aux crises.

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