Le paysage nous en dit long…Le Narbief-Le Bizot (août 2019)

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Le Narbief-Le Bizot, paysage typique de la partie septentrionale du massif du Jura

Par Pascal Bérion
Maître de conférences en Aménagement de l’espace et urbanisme
Université de Franche-Comté / Laboratoire ThéMA UMR CNRS 6049

Située dans la Haut-Doubs, entre Morteau et le Russey, le terroir de la fruitière du Narbief-Le-Bizot se déploie sur un haut plateau (aux altitudes comprises entre 900 et 950 mètres) légèrement incurvé en son centre. Il est bordé par des chaînons montagneux organisés à l’est par le mont Devoir et à l’ouest par le mont Repentir. Il domine, au sud, le Val de Morteau.

Le plateau s’organise dans une topographie douce donnant à voir un relief ne présentant pas de forts dénivelés. L’ensemble repose sur des roches calcaires :

Sur les rebords, se trouvent des calcaires durs soumis à l’érosion karstique. Cà et là, des affleurements rocheux ont conduit des générations successives d’éleveurs à dresser des murgers d’épierrement des parcelles destinées aujourd’hui à la fauche des foins et par le passé, aux labours. Lorsque les sols sont trop minces, ces champs sont réservés pour le pâturage.

Au centre, les calcaires durs sont remplacés par des marnes qui imperméabilisent la dépression et retiennent les eaux pluviales. Il en résulte la constitution d’un espace marécageux formant une tourbière. Elle est alimentée par les ruisseaux temporaires et se vidange par le ruisseau des Seignes qui se perd au village du Narbief pour alimenter les réseaux souterrains qui drainent les eaux qui s’infiltrent dans le plateau. Le cœur de la zone humide ne présente pas d’utilisation agricole. Il est occupé par une tourbière et de la forêt. Le ruisseau des Seignes est entouré de prairies de fauche non délimitées par des haies et des murgers.

L’installation des fruitières sur le plateau du Russey remonte principalement à la première moitié du XIXème siècle. Ainsi, sur l’actuel bassin de collecte de la fruitière du Narbief, il existait en 1854 des fromageries au Narbief, au Bélieu, au Bizot, au Barboux et à la Chenalotte. Ensemble, elles produisaient annuellement environ 35 tonnes de fromages élaborés avec le lait fourni pas plus de 80 fermes et 400 vaches. Le fromage était vendu entre 80 centimes et 1 franc par kilogramme. En 1929, les fromageries sont au nombre de 5 pour un peu plus de 1,6 millions de litres de lait transformés presque exclusivement en Emmenthal.

Aujourd’hui, la fruitière installée dans des locaux récents et modernes, valorise le lait de 24 exploitations agricoles qui affichent un potentiel de production total de 7 millions de litres de lait/an répartis sur environ 2 200 hectares de surfaces agricoles.

Des années 1950 à nos jours, le paysage du terroir du Narbief est marqué par trois changements importants :

Le premier concerne l’espace agricole. Les parcelles, autrefois minuscules, sont maintenant plus vastes et adaptées aux outils contemporains de fenaison. Cette évolution, et cela mérite d’être signalé, ne s’est pas accompagnée d’une destruction des haies et des murgers. L’essentiel de ceux identifiés sur les photographies aériennes de 1958 sont présents sur les photographies de 2017 ;

Le deuxième concerne la fermeture de la tourbière par le développement de la forêt ;

Le troisième est le développement important de l’habitat pavillonnaire dans ce secteur proche de la Suisse et recherché pour l’installation des résidences des travailleurs frontaliers. Cependant, ici les lotissements sont de taille raisonnable.

Par-delà ces évolutions, des constances s’identifient. Le système d’habitat reste assez lâche. Cette façon de faire est ancestrale. Elle assurait une protection efficace pour éviter la propagation des incendies qui pouvaient survenir dans les fermes à cause de la foudre ou de l’échauffement des fourrages dans les granges. Aussi, de magnifiques fermes comtoises sont toujours présentes sur ce terroir. Elles sont principalement du type dit de « pastorale en pignon » et sont équipées d’une cheminée avec tuyé pour fumer les charcuteries élaborées avec la viande des porcs que l’on élevait avec le lactosérum issu de la transformation du lait en fromage.

Le terroir de la fruitière du Narbief – Le Bizot est, dans sa dynamique actuelle, l’auteur d’un paysage typique de la partie septentrionale du massif du Jura et de la zone de production de l’AOP Comté. Les fermes sont nombreuses et sont implantées dans les villages et hameaux. Les granges et stabulations contemporaines sont construites à proximité des fermes anciennes. L’ensemble donne à voir des exploitations familiales bien équipées et intégrées dans leur environnement naturel et social.

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