Le paysage nous en dit long…Flangebouche (janvier 2021)

Paysage Flangebouche 1 Thierry Petit
La fruitière de Flangebouche, moteur essentiel de l’économie locale

> Par Pascal Bérion
Maître de conférences en Aménagement de l’espace et urbanisme • Université de Bourgogne-Franche-Comté / Laboratoire ThéMA UMR CNRS 6049

La fruitière de Flangebouche valorise le lait de vingt-huit fermes situées sur les premiers et les seconds plateaux du département du Doubs. Il s’agit d’une fromagerie de taille importante qui collecte environ 9 millions de litres de lait qu’elle transforme, pour les 2/3, en fromages d’AOP Comté. L’atelier de fromagerie est installé dans des locaux récents construits à l’entrée du village, en bordure de l’axe routier reliant Besançon, Morteau et Neuchâtel, que l’on appelle localement « la route des Micro-techniques ».

Le bassin de collecte de la fruitière de Flangebouche s’organise sous la forme d’une longue et étroite bande orientée du nord vers le sud (ses dimensions sont grossièrement de 17 X 6 km). Il s’inscrit à cheval sur deux grandes unités géomorphologiques du massif du Jura : le compartiment supérieur des premiers plateaux et un ensemble complexe imparfaitement qualifié de second plateau dans les usages qui en fait se compose d’une succession de plis contrariés par de nombreuses failles qui participent à la création d’une topographie animée sur ce secteur.

L’ensemble relevant des premiers plateaux appartient à la surface d’Ornans-Vercel-Valdahon. Il peut être divisé en deux éléments :

  • Le premier correspond au village de Flangebouche et à son finage. Les altitudes oscillent entre 700 et 750 m, la topographie est assez régulière mais présente des accidents qui s’expliquent par l’érosion karstique et des cassures liées à des failles qui tronçonnent le plateau du sud vers le nord. Dans l’ensemble, les sols sont souvent superficiels. Ils se développent sur la dalle des calcaires du Kimméridgien. De nombreux affleurement rocheux sont présents. Le sol est occupé par des prairies et parfois quelques cultures de céréales. Les haies sont nombreuses, souvent orientées face au nord ou à l’est pour protéger des effets de la bise. Le village est aggloméré et s’organise telle une étoile ;
  • Le deuxième participe du plateau de Pierrefontaine-le-Varans et comprend ici les finages de La Sommette, Grandfontaine-sur-Creuse, Domprel et Germéfontaine. Il se différencie de l’unité précédente par la présence d’accidents topographiques causés par des failles et des petits plissements. Les villages sont agglomérés mais petits. Là aussi les sols sont superficiels et présentent des secteurs d’affleurements rocheux et quelques dépressions imperméables et marécageuses (marais de Domprel). Les haies sont très nombreuses, particulièrement à La Sommette. Les altitudes sont proches de 700 m en moyenne.

La partie sud du terroir de la Fruitière de Flangebouche s’inscrit dans un contexte qui adopte une physionomie montagnarde. Un escarpement puissant d’une centaine de mètre et essentiellement recouvert par la forêt en matérialise l’accès. Il s’agit du prolongement du faisceau salinois, cependant son organisation est plus confuse car plusieurs éléments géologiques y participent. Un vaste secteur s’étageant entre 800 et 1 000 m se déploie. Il se compose de prairies séparées par des escarpements boisés étroits qui matérialisent les principaux plis du relief. L’ensemble assure la transition entre le synclinal de Longemaison et Orchamps-Vennes. L’habitat y est dispersé, sous forme de fermes qui jadis disposaient de fruitières comme cela est mentionné dans divers documents pour le lieu-dit les Laves.

Trois traits majeurs d’évolution du paysage sont identifiés avec l’étude des photographies aériennes depuis 1956 :

  • Le village de Flangebouche s’est notablement étendu et densifié. Des maisons individuelles ainsi que des lotissements d’entreprises se sont ajoutés au bâti ancien ;
  • La mise à 2X2 voies de la route des Microtechniques a coupé le finage, a requis un réaménagement de son foncier par un remembrement et assure un contournement du village ;
  • La forêt s’est étendue dans la partie montagneuse du finage. Sa croissance a profité aux résineux.

5 fruitières à Flangebouche au XIXe siècle !

La collecte de données historiques sur le terroir de la fruitière de Flangebouche donne à voir des évolutions qui méritent d’être portées à connaissance. La présence d’ateliers de fromagerie est ancienne, assurément antérieure à la révolution française. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, il est dénombré 5 fruitières à Flangebouche (2 au village et 3 dans les hameaux). En 1851, elles produisent 16,6 tonnes de fromages avec 135 vaches (soit environ 1 250 litres par animal). En 1854, il est indiqué qu’elles réunissent 70 sociétaires dans le village et 50 dans les hameaux. En 1866, la production s’est bien développée. Elle atteint 45,5 tonnes avec 350 vaches (qui ne produisent guère plus de lait qu’avant). Le prix de fromage a sérieusement baissé, il passe de 90 à 62 centimes/kg sous l’effet de l’ouverture du marché français à la concurrence des fromages venus de Suisse. En 1929, il n’y a plus qu’une seule fromagerie pour une taille (très honorable pour l’époque) de 850 000 litres. Elle produit un fromage de type Gruyère.

Le développement contemporain de la fruitière est intéressant. Tout d’abord, elle fédère solidement les éleveurs de la commune (douze fermes sont sociétaires !). Ensuite, elle rayonne sur les villages voisins, notamment en direction de Germéfontaine, Grandfontaine-sur-Creuse et La Sommette. Autrefois ces derniers disposaient de petites fruitières. Leur modernisation étant peu envisageable, elles ont rejoint Flangebouche et permis ainsi d’en assurer le développement. Quelques producteurs des villages d’Avoudrey, Domprel et Vellerot-les-Vercel participent aussi de ce collectif. Enfin, la société de fromagerie a sans cesse été animée par le soucis d’assurer une bonne valorisation de ses produits. A cette fin, elle n’a pas hésité à faire des investissements pour réaliser de la vente directe avec deux magasins bien achalandés, l’un situé à la fromagerie, l’autre, et c’est original, au centre-ville de Besançon, sur une place animée et fréquentée.

Au nord, le premier plateau se situe entre 700 et 750 m d’altitude.
Le sud du territoire arbore une physionomie montagnarde, entre 800 et 1 000 m d’altitude

Les densités agricoles sont élevées sur cette partie des plateaux du Doubs. Les sols n’ont certes pas un haut potentiel agronomique mais, ils permettent la pousse d’une herbe abondante et de qualité assurant avec satisfaction l’alimentation des vaches. Au total, les producteurs de la fruitière de Flangebouche valorisent presque 2 500 hectares de surfaces agricoles avec environ 1 500 vaches laitières. Ensemble, avec l’atelier de fromagerie, ils représentent plus ou moins 60 emplois attachés au territoire. Ils tiennent un rôle inducteur essentiel dans l’économie locale. Ces personnes ont des familles, des enfants et c’est tout une socio-économie qui s’organise et s’anime autour des ressources procurées par la production et la transformation du lait des belles et paisibles vaches montbéliardes. Toutefois, il faut bien avoir à l’esprit que la situation actuelle correspond sans doute à un état d’optimum du système de production. Les prix des fromages et par rétrocession du lait, sont appréciables mais avec une production moyenne d’environ 3 600 litres de lait par hectare de surface fourragère, il serait vain, et même contre-productif d’envisager faire mieux. Il en tient à deux raisons : d’une part il existe des limites physiologiques au développement des plantes et les prairies n’y échappent pas, d’autre part, le changement climatique, aujourd’hui indéniable, est de nature à contrarier sérieusement et de plus en plus fréquemment la production de l’herbe et la constitution des stocks de foin et de regain.

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