Le paysage nous en dit long…Noirefontaine (avril 2021)

p11 - Noirefontaine Paysage ┬® Thierry Petit
Noirefontaine, alias « Les fruitières du Lomont », une fromagerie originale à plus d’un titre

> Par Pascal Bérion
Maître de conférences en Aménagement de l’espace et urbanisme • Université de Bourgogne-Franche-Comté / Laboratoire ThéMA UMR CNRS 6049

A Noirefontaine, dans la vallée du Doubs, la fruitière de fromagerie présente plusieurs originalités qui permettent de définir et de caractériser son histoire, sa géographie et son terroir.
– Tout d’abord, elle décline son identité en employant le pronom personnel de la troisième personne du pluriel « les », sous entendant, à bon escient qu’il s’agit d’une fruitière née de la fusion de plusieurs coopératives portées par un projet collectif de développement agricole et rural ;
– Ensuite, elle a choisi un objet géographique, la montagne du Lomont, pour se dénommer. Ce faisant, elle consacre deux évidences. La première est qu’ici, le Lomont est un point majeur d’identification. Il surplombe et domine le terroir de la fruitière du haut de sa ligne de crête culminant aux environs de 800 m d’altitude. La seconde est que les finages situés de part et d’autre de cette montagne sont dédiés à l’élevage laitier dont la majeure partie est valorisée par la, pardon, « les » fruitière(s) éponyme (s) ;
– Enfin, avec pour coordonnées 47,34° de latitude Nord et 6,43° de longitude Est, cette fruitière est la plus septentrionale de la zone AOP Comté.
Le bassin de collecte des fruitières du Lomont est vaste. La coopérative réunit 31 exploitations agricoles, réparties sur une vingtaine de villages, valorisant 3 120 hectares de surfaces agricoles et produisant annuellement 9 millions de litres de lait. L’ensemble s’organise sous la forme d’une véritable mosaïque organisée autour de cinq grandes unités agro-paysagères :

  • La vallée du Doubs et la confluence du Dessoubre. S’écoulant vers le nord, en direction de Montbéliard, la vallée est étroite et encaissée. Elle laisse peu de place aux espaces agricoles qui s’accrochent sur les versants lorsque des replats et des clairières l’autorisent. Aussi, les exploitations sont relativement dispersées et isolées les unes par rapport aux autres. Cependant, si la topographie est peu commode dans les environs de Saint-Hippolyte (Mouillevillers, Soyère), elle devient plus clémente à hauteur de Noirefontaine et Villars-sous-Damjoux avant de franchir, par une cluse, le massif du Lomont pour rejoindre Point-de-Roide. La vallée est un axe de circulation très fréquenté reliant Maîche à Montbéliard ;
  • La montagne du Lomont, orientée d’ouest en est marque la bordure externe du massif du Jura. Il s’agit d’un faisceau, c’est-à-dire d’un étroit mais vigoureux anticlinal s’étirant sur 25 km (de Clerval à la frontière suisse) fracturé perpendiculairement par plusieurs failles. Il forme un rempart difficile à franchir et oblige les circulations à se diriger vers la vallée du Doubs. Il est presque exclusivement recouvert de forêts et s’identifie sans la moindre difficulté dans le paysage d’autant qu’il est équipé par parc d’éoliennes qui en soulignent la présence ;
  • Au, nord, au pied du Lomont, un replat permet donne naissance aux finages de Dambelin, Goux-les-Dambelin, Remondans-Vaivre et par-delà le Doubs, Pierrefontaine-les-Blamont. Il s’agit d’un plateau surplombant la vallée du Doubs et le Pays de Montbéliard avec des altitudes voisines de 500 m. La Ranceuse y creuse une reculée rejoignant le Doubs à Pont-de-Roide.
  • Au sud du Lomont, les villages de Valonne et de Feule sont installés sur un élément des premiers plateaux du Jura situé entre 500 et 550 m d’altitude. Il s’agit de la terminaison du plateau de Sancey-le-Grand. Il fortement découpé par la vallée de la Barbèche (qui rejoint le Doubs à hauteur Noirefontaine) et ses ruisseaux affluents ;
  • Entre les vallées de la Barbèche et du Dessoubre, à des altitudes supérieures à 650 m, le relief prend une allure tourmentée. Des replats permettent aux finages des Terres-de-Chaux et de Montécheroux (sur la rive nord du Doubs) de se déployer. Il s’agit de l’extrémité septentrionale du plateau de Pierrefontaine-les-Varans. La topographie est contrariée par la présence du faisceau de Belleherbe et les entailles des affluents du Dessoubre.

En 1925, le terroir des fruitières du Lomont disposait de neuf fromageries transformant au total 3,2 millions de litres de lait (1/3 en gruyère et 2/3 en emmental). La spécialisation dans la production fromagère semble assez tardive. Les documents d’archives mentionnent bien la présence d’une fruitière ancienne dans les environs de Saint-Hippolyte, mais en 1841, sur ce secteur, il n’en est compté que deux ayant produit quatre tonnes de fromages avec le lait de seulement 75 vaches. En 1851, le véritable démarrage du système local de production fondé sur la production de fromages s’observe. Sept fruitières sont alors présentes mais ne disposant que de 160 vaches, elles produisent peu (30 tonnes de fromages). Cependant la production des vaches semble honorable pour l’époque puisqu’elle est proche de 2000 litres par lactation. La proximité de la Suisse, le voisinage de Montbéliard et de Morteau ne sont sans doute pas étrangers à la diffusion lente, mais certaine, d’une amélioration du caractère laitier des « Touraches » qui donneront naissance aux Montbéliardes.

Le système d’élevage actuellement à l’œuvre à l’échelle de cette fruitière est assez extensif. La productivité moyenne de producteurs (2 900 litres) est légèrement inférieure à la moyenne de la zone AOP Comté. Elle s’abaisse selon un gradient altimétrique qui met en évidence, qu’en dessous de 650 m, les éleveurs disposent d’une forte autonomie fourragère liée à la possibilité de cultiver des céréales d’autoconsommation. Ils sont ainsi moins dépendant de l’importation d’aliments complémentaires et participent d’un système économique circulaire.

Les évolutions de l’occupation du sol donnent à voir des situations qui diffèrent en fonction de la topographie, de l’accessibilité routière et la proximité de l’agglomération de Montbéliard. Dès la révolution industrielle, l’industrie s’est déployée dans cette partie de la vallée du Doubs et a contribué au développement d’une certaine urbanisation.

Photographies aériennes de Dambelin en 1961 et 2017
Photographies aériennes de Montecheroux en 1956 et 2017
Photographies aériennes de Noirefontaine-Villars-sous-Danjoux en 1958 et 2017
Photographies aériennes de Valonne et du Lomont en 1958 et 2017
Photographies aériennes des Terres-de-Chaux (Neuvier et Chaux-lès-Châtillon) en 1958 et 2017


Aujourd’hui, elle se poursuit sous l’effet de la progression de l’habitat pavillonnaire sur les secteurs proches du Pays de Montbéliard et de la Suisse (Montécheroux, Pierrefontaine-les-Blamont, Goux-les-Dambelin…). Au sud du Lomont et en retrait de la vallée du Doubs, l’urbanisation se fait plus diffuse et discrète. La forêt tend à se développer sur les secteurs de fortes pentes ou enclavés dans des combes et vallons, notamment sur la montagne du Lomont et dans les reculées voisines. Quant aux espaces agricoles, le système initial de champs ouverts et en lanières minuscules s’est mué en un openfield dit en mosaïque sous l’action des aménagements fonciers et des échanges de parcelles entre agriculteurs. Les haies n’ont pas pour autant été détruites lors de ces changements. Certains secteurs en sont dépourvus et cela est ancestral et trouve en grande partie ses raisons d’être dans l’absence d’affleurements rocheux nécessitant un épierrage des parcelles. A l’inverse, en de nombreux endroits (Neuvier, Chaux-les-Châtillon, Mambouhans), elles sont abondantes et s’accompagnent de murgers d’épierrement.
Grâce au Comté, le terroir des fruitières du Lomont peut se prévaloir d’une triple réussite : économique, sociale et environnementale.

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