Le photovoltaïque de toiture en filière Comté

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Sur les toits des fermes, des fruitières et des caves, des panneaux solaires, producteurs d’une énergie renouvelable, fleurissent. Faut-il se laisser tenter ? Témoignages.

Être un oiseau, prendre de la hauteur et observer : des panneaux noirs chauffent au soleil sur les longs toits de la zone AOP Comté. Se doter de mesures efficaces pour atténuer la dépendance aux énergies fossiles et utiliser des moyens de consommer et de produire une énergie plus verte ? La filière Comté ne dit pas non. « Développer le photovoltaïque sur les toits reste un des moyens les plus sûrs pour la France d’atteindre ses objectifs quantitatifs d’énergies renouvelables », pense Isabelle Forgue, conseillère énergie à la Chambre d’Agriculture du Doubs. Les agriculteurs et les affineurs de la filière Comté sont nombreux à s’être saisis de cette alternative durable, équipant les grands toits de leurs fermes, de leurs fromageries ou de leurs caves en panneaux solaires. Le CIGC a inventorié 23 fromageries et entreprises d’affinage déjà pourvues d’équipements photovoltaïques et 56 autres ayant des projets sur 133 répondants au sondage. Pour elles, qui sont grosses consommatrices en énergie, c’est une manière d’être plus autonomes. Mais l’investissement sur sept à neuf ans que ces structures photovoltaïques supposent, ne doit pas se faire sans une étude fine de la faisabilité et sans un calcul de rentabilité.


Aucune charge de travail supplémentaire

Isabelle Forgue évoque plusieurs raisons à cet intérêt croissant :

« Contrairement aux industriels qui tardent en France à se lancer, les agriculteurs sont nombreux à franchir le pas pour plusieurs raisons. D’abord, ils sont habitués à des temps de retour sur investissement assez longs et c’est le cas ici, environ dix ans. Ensuite, ils sont sensibles aux évolutions technologiques et souhaitent donner une bonne image de l’agriculture. Enfin, c’est un investissement qui ne leur procure aucun travail supplémentaire : ils ont juste à regarder chauffer leurs panneaux au soleil. » Les témoins de ces deux pages, qui ont recours à l’énergie de l’étoile du système solaire, sont tous d’accord sur un point : « Il y a suffisamment de toitures de bâtiments pour les utiliser à bon escient, sans devoir installer des panneaux au milieu des champs »

Chez les affineurs, les caves s’allongent, les toits aussi

Sur les grandes longueurs de toits qui protègent les caves d’affinage,
viennent se greffer des ressources en énergie.

L’ âge moyen d’un Comté à la vente ayant triplé en trente ans, les affineurs ont un besoin croissant de place pour soigner les Comté. Des Comté qui s’affinent plus longtemps, cela signifie des bâtiments plus longs pour tous les accueillir. Et
sur les toits, on met quoi ? Des panneaux solaires. L’architecte Claude Meynier, qui a conçu un grand nombre de fruitières et plusieurs extensions de caves d’affinage, prévoit désormais automatiquement la possibilité d’accueillir de futurs panneaux photovoltaïques sur le toit de toute nouvelle construction pour
la filière. Ceci en s’assurant notamment que la charpente supportera leur poids.
La fromagerie Badoz, à la fois maison d’affinage et atelier de fabrication fromagère, a mis en fonctionnement 850 m2 d’installations solaires sur son site de la rue Gustave Eiffel à Pontarlier au printemps dernier. « Quand le projet a démarré en 2021, le coût de l’électricité n’était pas encore un problème, mais
nous voulions créer de l’énergie pour la consommer. L’idée n’était pas de faire une opération financière, mais de consommer une énergie propre »
, explique Vincent Badoz. Son frère Sébastien détaille les contours du projet qu’il a porté : « La production annuelle estimée sera de 155 480 kWh, soit environ 6,5 % des besoins totaux du site ». Les panneaux ont été posés sur les toits de nouvelles caves d’affinage et l’entreprise étudie à l’heure actuelle la question d’en installer aussi sur les surfaces préexistantes.

Chez Rivoire-Jacquemin à Montmorot, les toits s’équipent petit à petit entièrement de panneaux photovoltaïques depuis fin. Ceux-ci devraient couvrir entre 21 et 26 % des besoins en énergie de l’entreprise, utile au bichonnage des 150 000 meules. « Nous avions lancé une première phase d’étude en 2013 lors de la construction de nouvelles caves, mais le retour sur investissement sur quinze ans nous avait paru trop important. Un nouveau calcul en 2022 portait cette fois le retour sur investissement à 5 ans et nous nous sommes lancés », explique Véronique Rivoire. L’entreprise, qui consomme environ 2 200 000 kWh/an, devrait produire 500 000 kWh/an quand tous les panneaux seront fonctionnels. Cette énergie sera auto-consommée à 100 %. « Nous allons produire beaucoup en été, période où nous avons le plus besoin d’électricité pour réguler la température des caves », précise Mme Rivoire, qui a fait le
choix de panneaux provenant des pays nordiques, assemblés en Alsace et installés par une société locale.

Sur les toits de fermes, le soleil donne

Les éleveurs qui ont investi dans des panneaux solaires, pour autoconsommer
et/ou revendre l’énergie produite, s’annoncent satisfaits de leur investissement.

> Le Gaec des Bouchettes à Plasne/Frontenay a installé une première centrale photovoltaïque en 2020 d’une puissance maximale de 100 kWc à l’occasion de l’emménagement dans son nouveau bâtiment pour effectuer de la revente totale. « A l’époque, le système permettant l’autoconsommation n’était
pas au point et peu intéressant »
, précise Baptiste Vichet. En septembre 2023, lui et son associé, Sébastien Clerc, ont complété ce premier équipement par une seconde installation de 206 kWc, dont 36 kWc en autoconsommation avec compteur et onduleur autonomes. « Cette part d’autoconsommation, représentant 20 000 kWh par an, nous servira à faire fonctionner le ventilateur qui sèche notre foin et peut-être aussi au début de la traite », espère Baptiste Vichet. La part de production revendue est, elle, estimée à 349 772 kWh par an. La pose des panneaux a nécessité la mise en place d’un nouveau transformateur, dont le coût important (180 000 €) a été pris en charge
entièrement par le Sidec du Jura. Un bon point pour les agriculteurs qui, sans cela, n’auraient sans doute pas pu financer le projet. L’investissement de 278 000 euros consenti par le GAEC devrait être rentabilisé en maximum dix ans. « Les panneaux solaires rapportent environ 3 000 à 4 000 euros de plus par an
que le montant annuel de notre prêt »
, précise Baptiste Vichet.

> La Ferme des Jonquilles à Rahon dans le Doubs bénéficie d’un toit tout neuf équipé en installations photovoltaïques mises en route le 27 juillet 2023. Son propriétaire, Mathieu Guignard, a fait installer 1 200 m2 de panneaux qui produisent 251 000 kWh par an (estimation) qu’il revend en totalité à EDFOA. Pour lui, cette pose était une évidence : le bâtiment est orienté sud-est, le transformateur est au pied de la ferme et « devenir producteur d’énergie, c’est l’avenir », assure-t-il. D’autant que cet investissement permet un revenu supplémentaire, utile notamment pour financer la réfection de la toiture. « A l’époque où j’ai signé le contrat, le prix de revente était plus intéressant que l’autoconsommation. Mais si j’avais un choix à faire aujourd’hui, je laisserais une petite partie en autoconsommation », précise-t-il. L’ensemble du projet a coûté 195 000 euros que la ferme rembourse sur quinze ans, avec un retour sur investissement prévu sur douze ans. « Les porteurs de projet doivent savoir que l’administratif et les démarches auprès du gestionnaire de réseau sont plutôt longs, ajoute Mathieu. Par ailleurs, le premier paiement intervient entre six et neuf mois après la mise en fonctionnement. » Une chose à prévoir dans son calendrier financier !

> Richard Myotte sur sa ferme de Loray bénéficie d’un autre système : il peut consommer toute sa production, sans recours à l’achat ou à la revente, grâce à un « stockage virtuel » de l’énergie qu’il produit. Comment cela ? L’énergie qu’il ne consomme pas au moment où elle est produite se trouve stockée virtuellement sur le réseau. Il peut ainsi la récupérer lorsqu’il en a besoin. Ce ne sera bien sûr pas exactement la même que celle produite, mais il en recevra la même quantité. Son investissement de 29 000 euros devait être rentabilisé en sept ans, mais le sera plutôt dans cinq, du fait de la hausse du coût des énergies. Et cela, malgré l’augmentation du montant des assurances induit par les installations photovoltaïques. Le producteur est si satisfait de l’investissement qu’il en a fait la promotion auprès de la coopérative dont il est le président. Du coup, la Fruitière de la Reverotte à Loray est en pleine réflexion pour poser des panneaux sur son toit tout neuf. Evoquons désormais le cas, sans doute un peu à part, de Christian Dumont qui a posé des panneaux solaires sur sa ferme il y a treize ans. Ce précurseur bénéficie d’un niveau de rentabilité extrême avec un prix de rachat à 0,50 centime du kWh garanti sur vingt ans que personne ne reverra jamais. Cas à part donc, mais l’agriculteur en retraite témoigne de la bonne tenue des panneaux dans le temps et reste persuadé qu’investir dans le photovoltaïque de grande toiture à l’heure actuelle est toujours une bonne idée. « Pour l’anecdote, ma meilleure année de production, c’est 2022 », assure-t-il.

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