L’organisation sociale de la filière, secret de la réussite du Comté

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Vivante, évolutive, la filière Comté repose sur une organisation sociale inédite qui fonctionne depuis des siècles. En coopérant au sein de petites structures, les producteurs préservent leur pouvoir d’autonomie, gardent la main sur la valeur de leur travail et contrôlent leur destin.

Si la coopération est la base du système Comté depuis le Moyen-âge, le caractère particulier de l’organisation sociale de la filière tient à son organisation en petites structures. Les gens du Comté se sont battus à plusieurs reprises dans l’histoire pour conserver coûte que coûte ce maillage humain, ce modèle villageois qui permet aux producteurs de Comté de rester capitaines à bord du navire.
« Nous sommes tous chefs ! », clamait encore récemment dans un éditorial, l’ancien président du CIGC, Claude Vermot-Desroches. Les 146 fruitières à Comté (dont 137 fonctionnent en coopératives) sont gérées par autant de conseils d’administration, composé en moyenne de 8 à 10 personnes qui se réunissent environ une fois par mois. Soit autant d’occasions essentielles de gérer leur outil, de faire corps vers un but commun ! Autrement dit, la moitié des 2 631 exploitations habilitées en AOP Comté comptent des producteurs qui sont aussi administrateurs de leur coopérative. Au-delà de leur propre exploitation, ils se soucient de leur avenir collectif. L’ampleur de cette mobilisation est rarissime dans l’économie mondialisée actuelle… C’est très fort, insiste Valéry Elisseeff, directeur du CIGC. Cet engagement de tous les membres à prendre en mains leur destin fonde une organisation sociale puissante qui donne du sens à la consommation de Comté. Manger du Comté, c’est participer à une chaîne de valeurs où chacun trouve à vivre de son métier, au sein d’un territoire donné, non délocalisable. C’est le sens même de la loi Egalim (loi Agriculture et Alimentation adoptée fin 2018) qui régit l’agriculture française de demain.
Le système de la filière Comté est donc à la fois ancestral et précurseur d’un genre nouveau : Philippe Dessertine, économiste français, assure, dans un entretien récent au Jura Agricole et Rural, que « la 4e révolution industrielle s’appuiera sur de petites entités, des structures plus souples, plus agiles, capables de s’adapter ».
Il encourage vivement les producteurs du massif à garder des exploitations à taille humaine. « Préservez cet équilibre : celui d’être petits, mais d’être ensemble ! »

Au sein des 146 fruitières à Comté, environ 1 300 producteurs sont investis dans leur coopérative. Ainsi, la moitié des exploitations est engagée dans cette vie collective.

Président de coopérative, un labeur essentiel

Sans les 137 présidents de coopératives à Comté, l’organisation sociale de la filière vacillerait. L’an dernier, la FRCL a mis en place un appui à la gouvernance pour monter encore en compétences.

Les temps ont changé. Le rôle de président de coopérative a beaucoup évolué lors des vingt dernières années vers un environnement réglementaire, administratif et social de plus en plus complexe. Parallèlement, les exploitations ont grossi et laissent moins de temps aux producteurs pour l’engagement collectif. Un président passe en moyenne entre un et trois jours par semaine à sa coopérative. Pas en non-stop bien sûr, mais tout de même.
Pour faire en sorte que les producteurs continuent à trouver du sens et du plaisir à s’investir, la Fédération des Coopératives Laitières du massif jurassien (FRCL) propose depuis l’an dernier un appui à la gouvernance . Françoise Perrot-Gallet explique : « Nous aidons les conseils d’administration dans la définition stratégique de leur projet, dans leur gestion du personnel, dans l’organisation de leurs instances de décision pour une meilleure répartition des tâches. Actuellement, nous suivons plus particulièrement 23 coopératives. Cette montée en compétences nous semble nécessaire pour assurer l’avenir de ce qui nous tient à cœur : que les agriculteurs restent entièrement gestionnaires de leur coop. »

Cahier des charges : le grand débat dure depuis deux ans

La responsabilité partagée des acteurs du Comté s’exerce d’abord à l’échelle primordiale de la fruitière, mais aussi à l’échelle plus globale de la filière, via le CIGC.

La récente concertation autour de l’évolution du cahier des charges est le parfait exemple de cette responsabilité partagée : chaque profession de la filière (producteurs, transformateurs, affineurs) a d’abord organisé son propre niveau de débat avant de mettre en commun leurs idées lors d’une seconde concertation au sein de groupes « experts », puis de la commission technique. Chaque mois, celle-ci a fait part de l’avancement de son travail et de ses propositions au Conseil d’administration du Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté qui a lui-même débattu.
60 réunions, plus de 1 000 participants entre janvier 2017 et avril 2019 pour fonder ensemble ce document d’orientation essentiel ! Et ce n’est pas fini… Quelle autre entité peut se targuer aujourd’hui d’avoir un système collaboratif de décision aussi poussé, sans tomber dans le simulacre de concertation ? Alors oui, les réunions, parfois, reviennent un peu trop souvent…. Mais cette proximité physique fonde le sentiment d’appartenance : quand ça va bien, on se réjouit ensemble ; si un jour ça va mal, on fera front ensemble. C’est d’ailleurs au coeur des crises que s’est structurée l’organisation sociale de la filière…

Le Comté, marqueur économique de son territoire

L’influence du travail des producteurs sur l’emploi local et l’image du pays donne des repères et fait communauté.

« En coopérative, on ne se soumet pas à une autorité supérieure, on est l’autorité, rappelle Emmanuelle Cournarie, sociologue du travail et auteure de la conférence gesticulée « Je travaille avec deux ailes ». Dans la coopération, chacun reste en osmose avec ses valeurs, car il existe des espaces pour dire et réfléchir au sens que chacun souhaite donner à son travail. Et dans le Comté plus particulièrement, l’appropriation des savoirs est essentielle : ceux qui produisent sont ceux qui savent. Il n’y a pas d’un côté les ingénieurs qui pensent, et de l’autre les petites mains qui agissent. Le sentiment de fierté face au produit ainsi créé est porteur de sens, surtout lorsqu’il est lié à l’image de notre territoire : le Comté est beau, bon, reconnu. Son nom sonne presque à l’identique de la principale région où il est fabriqué ! Marquer un territoire par son travail quotidien est important, car on voit notre influence sur l’économie locale. Cela donne des repères et fait communauté ».
En plus de satisfaire le consommateur par son goût, ses pratiques sociales et environnementales, le Comté contribue à la création de 14 000 emplois au total dont 6 812 emplois directs* : les chercheurs estiment par exemple que 300 maçons vivent grâce à la construction ou la réhabilitation d’exploitations, d’ateliers fromagers et d’entreprises d’affinage dans le massif du Jura. A cela s’ajoute l’excellente notoriété du Comté, 2e fromage le plus cité dans la bouche des Français et premier dans les intentions d’achat des 25-49 ans.

*Chiffres issus de l’étude Projet ACYDU (Agence Nationale de la Recherche).

Quelque 300 maçons doivent leurs emplois à la construction de fermes, de caves ou d’ateliers fromagers dans le massif du Jura.
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