Le Drugeon, ses prairies humides, ses marais et tourbières

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Depuis juillet 2020, la fruitière de La Rivière-Drugeon s’est établie dans des locaux neufs en bordure de la RD47 reliant Pontarlier à Champagnole, sur une zone d’activités située sur la commune voisine de Bulle. Les sociétaires de la fruitière de La Rivière-Drugeon, commune qui par le passé a compté jusqu’à trois fromageries, ont choisi un emplacement commode et pratique d’accès, en bordure d’un axe routier très fréquenté.
La fruitière transforme annuellement environ 3,1 millions de litres de lait. Il s’agit d’un petit atelier de fromagerie valorisant le lait de dix exploitations agricoles, mettant en valeur 1 150 ha de prairies sur les finages de Dompierre-les-Tilleuls et La Rivière-Drugeon.
L’ensemble participe des seconds plateaux du massif du Jura. Le terroir de la fruitière s’organise autour de trois unités paysagères :

  • L’anticlinal du Laveron, situé au sud-est de la commune, s’impose dans le paysage par son puissant escarpement (300m de commandement) et sa couverture forestière. Il marque l’entrée dans la haute-chaîne plissée du massif du Jura. La ligne de crête détermine les limites communales, son point le plus élevé culmine à 1112 mètres d’altitude. Quelques prés enclavés dans la forêt se localisent à ses pieds ;
  • Le synclinal du Drugeon sur lequel deux unités se distinguent :
    • La vallée du Drugeon ou plaine de l’Arlier. La topographie est plane avec des altitudes minimales situées autour de 820 mètres. Le Drugeon draine cet ensemble et y adopte un parcours paresseux fait de méandres qui serpentent entre de vastes zones de marécages et d’étangs. Ce milieu est en fait une dépression synclinale remblayée par des dépôts issus du glacier qui recouvrait le Jura il y a seulement 20 000 ans. Un vaste lac s’est formé au pied du Laveron, de Pontarlier à Frasne. Les dépôts glaciaires recouvrent sur plusieurs mètres les calcaires sous-jacents du crétacé. Ces alluvions imperméables expliquent la présence des marais et des tourbières, au demeurant remarquables par leur richesse écologique ;
    • Le plateau de Nozeroy Frasne Chaffois. Il correspond au rebord de la dépression de l’Arlier. Son altitude se relève doucement vers le nord jusqu’aux environs de 880 mètres. La topographie est plane et permet des vues dégagées sur un espace à dominante prairial où l’érosion karstique des calcaires du jurassique apporte un modelé animé par les petites dépressions et des ondulations suggérant la présence de dolines.

Le village de La Rivière-Drugeon, comme ses voisins de la vallée éponyme, s’organise sous la forme d’un bâti dense et groupé. A l’époque médiévale, il avait été ceinturé par un mur d’enceinte pour former un site protégé par les rives de l’étang de La Rivière et un canal de dérivation du Drugeon. Les marais et tourbières du Drugeon constituent un site Natura 2000 d’une richesse exceptionnelle d’une superficie totale de plus de 8 300 ha occupé à 42% par des prairies humides, utilisées à bon escient par des producteurs de lait à Comté. Cet espace naturel avait subi au cours des années 1960 une altération conséquente produite par le redressement du cours de la rivière. Toutefois, le classement en zone d’intérêt écologique et la réalisation d’un projet LIFE de restauration du Drugeon ont été fructueux. La renaturation du cours d’eau et de ses marais a permis de sauver un écosystème de milieux humides. La nappe alluviale du Drugeon est précieuse, elle soutient les débits et la ressource en eau potable de cette partie du Haut-Doubs, soumise à des sècheresses plus fréquentes et plus sévères.
La production de fromages est très ancienne sur ce terroir ayant appartenu à la famille des Chalon-Arlay. Lors de l’enquête réalisée auprès des communes en 1851, les trois fruitières du village installées au bourg et aux faubourgs d’Arlin et du Tartre sont déclarées fondées depuis « des temps immémoriaux ». Elles ont produit, cette année-là, 40 tonnes de fromages (des gruyères ainsi que 3 tonnes de « séchons ») du 1er mars au 12 novembre, avec le lait de 335 vaches (soit 1 500 litres transformés en fromage par animal). Le volume produit peut paraître minime au regard des valeurs contemporaines, toutefois, il est important pour l’époque, d’autant que les vaches doivent au préalable nourrir leur veau et que le cheptel est bigarré, composé de touraches et de fémelines plus ou moins croisées avec des pies-rouges bernoises au gré des échanges entre les communautés villageoises (voir à ce sujet le tableau de Gustave Courbet datant de 1850 représentant Les paysans de Flagey revenant de la foire de Salins). L’enquête de 1866 mentionne une augmentation de 10 tonnes de la production et une augmentation du cheptel à 420 vaches. Elle précise que les trois sociétés totalisent 126 adhérents et que les fromages sont expédiés vers Lyon et Paris au prix d’un franc le kilogramme. En 1929, l’enquête de l’ingénieur Garapon mentionne la présence de deux fromageries produisant de l’emmental avec 740 000 litres de lait.

Depuis les années 1950, le terroir de la Rivière-Drugeon est animé par quatre grandes transformations mises en évidence par l’analyse comparée des photographies aériennes :

  • Le village s’est enrichi de nombreuses constructions de maisons individuelles. Cependant, cette urbanisation s’est opérée de façon planifiée, ordonnée et la frontière est nette entre le bourg et les espaces agricoles ;
  • Le cours du Drugeon, ses marais et ses tourbières ont été renaturés ;
  • Les parcelles de l’openfield formant d’étroites et minuscules lanières se sont muées en mosaïque de grandes parcelles sous l’effet du remembrement et de la réduction du nombre d’exploitations agricoles ;
  • Les prairies sèches situées au nord-ouest du finage sur les dalles des calcaires du portlandien et du kimmeridgien sont délaissées et bien souvent plantées en résineux. Quelques petites parcelles de prés enchâssées dans les plantations demeurent.
Le village de la Rivière-Drugeon entre 1956 et 2020 (source IGN remonter le temps)
Progression des enrésinements entre 1956 et2020 au Nord de la commune de la Rivière-Drugeon (source IGN Remonter le temps)

Les haies sont peu présentes sur ce terroir et il semble en avoir toujours été ainsi. Quelques arbres et buissons sont présents au gré d’affleurements rocheux ou pour souligner la présence de limites de section ou de communes. Seule la partie située au pied du Laveron présente de denses alignements de haies faisant obstacle à la bise. Elles ont été établies aux limites des parcelles sur lesquelles des générations d’agriculteurs ont patiemment déposé les pierres enlevées dans les champs au fur et à mesure de leur découverte. Les éleveurs de la fruitière de La Rivière-Drugeon mettent en valeur et participent à la protection d’un paysage et de milieux naturels remarquables, typiques des plateaux du Jura, sur lesquels les glaciers du quaternaire ont laissé leur empreinte. Ils peuvent être fiers de leurs pratiques qui participent de l’agroécologie. Tels des sentinelles, ils sont en première ligne pour percevoir les effets du bouleversement climatique contemporain et devront y faire face avec intelligence pour transmettre et faire perdurer un système de production vieux de plusieurs siècles, sans doute millénaire. Il n’est pas possible de parler de la Rivière-Drugeon sans évoquer la présence d’une entreprise reconnue spécialisée dans le conditionnement d’escargots. Ils se cuisinent à merveille avec du Comté. Bon appétit.

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