Le paysage nous en dit long…Balanod (octobre 2021)

p11 - Paysage Balanod 1 (Thierry Petit)
A Balanod, une terre singulière entre Bresse et Revermont

> Par Pascal Bérion
Maître de conférences en Aménagement de l’espace et urbanisme • Université de Bourgogne-Franche-Comté / Laboratoire ThéMA UMR CNRS 6049

Les fromageries du Revermont sont nées au début des années 1990 de la fusion des coopératives de Coligny, Treffort-Cuisiat, Saint-Etienne-du-Bois (toutes trois situées dans l’Ain) et Balanod (Jura). L’atelier de fromagerie, modernisé en 2011, transforme en Comté un peu plus de 4 millions de litres de lait collectés auprès d’une dizaine de fermes.
Son terroir est situé sur le chevauchement de la Bresse par le massif du Jura entre Saint-Amour et Bourg-en-Bresse. A la fin de l’ère tertiaire (de -11 à -3 millions d’années tout de même) lors du « paroxysme pontien », sous l’effet de la compression née du soulèvement des Alpes, les couches géologiques du Jura glissent, plient, cassent. A l’ouest, le Jura recouvre la Bresse. Un pli anticlinal étroit et orienté nord-sud en matérialise la bordure, il s’agit du Revermont. Si ses sommets ne dépassent guère 600 m, son escarpement puissant domine la Bresse de pas moins de 400 m et forme ainsi une ligne bien visible dans le paysage.
Les pentes du Revermont sont peu hospitalières. Elles sont recouvertes par la forêt et son franchissement n’est possible que par de rares points de passages où des routes, étroites et sinueuses, rejoignent la Petite Montagne et Arinthod.
La Bresse est en revanche plus avenante. Elle forme une plaine drainée ici par le Sevron et le Solnan dont les eaux alimentent plus au nord, la Seille à Louhans. Les altitudes basses (autour de 200 m) assurent des hivers doux, humides certes, mais sans neige, ou si peu. Cependant, elle est loin d’être un pays de cocagne. Son sous-sol est souvent ingrat. Deux types de sols le compose :
 les terres dites blanches, lourdes mais non « hydromorphes » situées sur les terrasses alluviales et les élévations. Elles sont propices aux labours et aux cultures, notamment le maïs cultivé ici depuis plusieurs siècles pour ses grains consommés par les animaux et les hommes et à l’origine de spécialités culinaires locales telles que le poulet de Bresse (reconnu par une AOP) et les gaudes (farine de maïs torréfié et lait) ;
– les prairies, il s’agit des plaines alluviales des innombrables ruisseaux et des deux rivières principales qui drainent cette partie de la Bresse. Ces terres, inondables en hiver et composées d’alluvions récentes, n’autorisent guère les cultures. Elles sont conduites en prairies naturelles et parfois font l’objet de drainages pour en améliorer la viabilité.

Les paysages du terroir des fromageries du Revermont révèlent en quelle sorte une interface entre la Bresse et le Jura qui repose sur trois piliers.Tout d’abord, l’habitat rural s’organise en villages semi-dispersés composés d’un noyau villageois aggloméré et de hameaux situés dans les écarts. Les villages rassemblent l’essentiel de la population. Ils sont généralement implantés au pied des pentes du Revermont (Coligny, Cuisiat, Treffort, Meillonnas par exemple) et surplombent la plaine. Ils sont composés de maisons en pierre, souvent mitoyennes et couvertes de tuiles romaines (ou canal). Leur style architectural présente des similitudes avec le bâtit de la Petite-Montagne voisine et du Bugey (plus au sud). Les hameaux sont forts différents. Ils sont composés d’une à plusieurs fermes et se répartissent dans le finage de la plaine. L’architecture se différencie et adopte sans transition un style spécifique de la Bresse : murs en pisé (torchis), colombages reposant sur une fondation en pierre, maisons étroites et allongées, généralement sans étage, toit en tuile romaine avec un débord important assurant un avant-couvert utile pour se protéger de la pluie et présence de petits bâtiments annexes.
Ensuite, le finage s’organise sous la forme d’un bocage fortement remanié par la réorganisation du parcellaire agricole. Dans les années 1950, les parcelles étaient petites et la dualité entre prairies et cultures était nette : les prés dans les dépressions humides et les basses pentes, les cultures sur les terres saines. L’émiettement des parcelles s’explique aussi à cette époque par les fortes densités d’exploitations agricoles. Aujourd’hui, la physionomie des lieux est bien différente. Les parcelles sont agrandies et forment des blocs bien structurés. Les réseaux de haies ont parfois été réduits et les prés situés sur les pentes du Revermont sont remplacés par la forêt.

Balanod (Jura) comparaison des photographies aériennes des années 1950 et 2020


Enfin, cet espace est situé sur une axe ancien et toujours actif de circulation, reliant localement Lons-le-Saunier à Bourg-en-Bresse, mais assurant les liaisons routières et ferroviaires entre Strasbourg et Lyon en passant par Besançon via la RN83, l’autoroute A39 et la ligne électrifiée de chemin de fer.
Les bulletins de la Société de géographie du département de l’Ain, consacrés aux cantons de Coligny et de Treffort, publiés en 1886 et 1887, attestent de l’existence de fromageries sur ce secteur. A la même époque, dans le Jura, il apparait qu’il n’existe pas encore de fromagerie à Balanod, mais une est en place à proximité, à Saint-Jean-d’Etreux. La présence de vignes, pour des superficies importantes, est mentionnée mais les auteurs en parlent déjà au passé puisqu’elles venaient d’être ravagées par le phylloxéra.

Treffort (Ain) comparaison des photographies aériennes des années 1950 et 2020


Les sociétaires des fromageries du Revermont mettent en valeur un peu plus de 1 300 hectares aux confins des départements du Jura et de l’Ain, entre plaine de Bresse et montagnes du Jura. Avec environ 2 600 litres produits en moyenne par hectare, leur système de production est singulier, il est à la fois autonome et extensif. Ils produisent généralement du lait et des céréales dont une part est vendue. Mais leur mode de production n’est pas le seul à façonner ce finage. Beaucoup d’agriculteurs du voisinage ont choisi dans les années 1970 et 1980 de sortir des schémas traditionnels de production du lait et de s’orienter vers des filières longues à l’époque plus attractives, plus modernes et aussi, sinon plus, rémunératrices que les fromageries villageoises. Les producteurs de Balanod ont surmonté cette évolution en regroupant leurs fromageries et en mettant en commun leurs moyens. Ils ont gardé un système traditionnel fondé sur l’herbe et le foin et continuent d’entretenir avec soin les prairies naturelles des vallées du Sevron et du Solnan.

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